Aujourd’hui, j’ai envie de vous parler de l’importance du regard que nous portons sur les enfants. Oui, je dis bien, les enfants. Ce que reçoit un enfant de la part d’un adulte qui le regarde vivre, évoluer, agir, se tromper, avoir peur, avoir mal… n’est pas le seul fait de ses parents, ou de son éducatrice, son enseignant, de qui les petits sont si proches au quotidien. Toute rencontre avec un autre adulte est significative pour tout enfant, tant il est vrai que, petit, nous nous construisons par le regard de l’autre, avant de se reconnaître pour ce que nous percevons de nous-mêmes. Et ce que nous percevrons de nous-même, dans quelques années ou même plus tard dans la vie, est directement influencé par les premiers regards que nous aurons reçu des adultes qui nous reflètent ce que nous faisons, ce que nous ressentons, ce que nous comprenons et en définitive… ce que nous sommes.
Chacun d’entre nous a le souvenir d’une personne qui a influencé, d’une façon ou d’une autre, la perception que nous avons de nous-même. Que ce soit le professeur qui nous a donné confiance, grand-maman dont le regard était toujours doux, le commerçant au regard si sévère que nous avons toujours une appréhension à rentrer dans une quincaillerie… tous ces étrangers à la famille immédiate ont eu, par un seul regard parfois, une influence sur notre façon d’être et d’agir. Alors, imaginons comment le regard de nos parents et de nos proches a pu être fondateur de ce que nous percevons de nous-même, et partant, de ce que nous sommes en tant qu’adultes.
Pour illustrer ce qu’un regard bienveillant peut occasionner sur la confiance en soi d’un enfant, voici un épisode vécu il y a quelques semaines, dont je garde une forte empreinte.
En visite chez des amis, voilà qu’ils reçoivent eux-mêmes la visite de leur nièce et de ses deux enfants. Nous prenons contact, nous jouons ensemble… Et soudain, la plus jeune, fillette de 7 ans, me dit; « veux-tu que je te montre ma danse? » Dès ma réponse affirmative, la voilà qui entame des pas de danse sur le mode de la gigue irlandaise. Sa dextérité instinctive me surprend et je la regarde danser avec un joyeux étonnement. Lorsqu’elle s’arrête, je la félicite, lui demande si elle prend des cours : non. Mon regard est enthousiaste. La fillette poursuit : « Je voudrais te danser une autre danse; en fait un peu pareille, mais un peu différente. » J’acquiesce du regard et la voilà qui virevolte avec un peu plus d’assurance, et hop! Une nouvelle figure apparaît dans son évolution; je souligne d’un sourire. À la fin de son exhibition, je l’appelle et lui demande si je peux lui faire un câlin. « Je te fais un câlin pour que tu n’oublies jamais quelle bonne danseuse tu es. »
Elle demande à sa maman de mettre de la musique appropriée et se remet à danser. À mon grand étonnement, sur la musique, la voilà plus performante dans ses pas et dans ses figures, comme si elle avait pris deux mois de cours! À la fin de la musique, je l’attire vers moi et cherche sur mon téléphone un numéro de la troupe « Riverdance ». Nous la regardons ensemble et je commente « Tu vois, tu fais ce pas…» « Regarde ce que devient cette figure lorsqu’on la travaille; toi aussi tu pourras faire cela… » La petite ne dit pas un mot, elle regarde l’écran, fascinée, collée sur moi. Quand le vidéo se termine, elle redemande à sa maman de mettre de la musique, choisit le morceau qu’elle veut.
Et j’ai vu sous mes yeux une démonstration de gigue irlandaise digne d’une enfant qui aurait pris une année de cours, ou plus. Elle fixait mon regard admiratif et totalement subjugué, je dois l’avouer. Il se passait devant moi quelque chose de si étonnant! Sa performance avait décuplé. Lorsqu’elle s’est arrêtée, elle montrait une grande fatigue. Je l’ai invité à boire un grand verre d’eau et à se reposer. C’est comme si je percevais le travail de structuration de l’apprentissage qui devait se faire à une vitesse incroyable dans ce jeune cerveau qui avait, grâce à mon regard bienveillant, doublé de ma croyance pour son jeune talent, trouvé la force, la détente et la concentration nécessaires pour augmenter ses capacités de danser la gigue irlandaise de plusieurs mois en… 15 minutes!
Ayant accompagné des enfants en musique et en danse durant une vingtaine d’années, je sais combien l’ambiance de l’atelier, la bonne humeur, le plaisir et la gentillesse devant toutes les manifestations d’habiletés, comme de comportements, provoquent des améliorations immédiates, et durables, de l’action artistique, et du comportement également. Je l’ai vérifié des centaines de fois. Mais cet épisode de rencontre avec un enfant talentueux fut si étonnant, tellement significatif et tellement précis dans son déroulement et dans son résultat, qu’il restera pour moi l’exemple parfait du pouvoir d’un regard bienveillant sur la capacité d’apprentissage d’un enfant et sur la construction de son estime de soi.
Croyez-moi, c’est aussi pour ces moments magiques que je ne me fatigue pas, après 50 ans de vie professionnelle auprès des enfants, de les côtoyer encore et toujours.
Un exemple de plus qui me fait être intimement persuadée que: